48 personnes ! Je dois connaître les missions des 48 personnes de Marseille. Le boss veut son rapport pour le 18, il me reste trois semaines pour éplucher tous les entretiens annuels, rencontrer tout le monde et présenter mon rapport. Les gens se méfient de moi, leur patron a été dégagé, je fais fonction. Ils n’ont pas l’air de m’apprécier beaucoup, déjà je ne suis pas du coin, en plus je viens de Paris, alors je sens bien qu’ils m’attendent au tournant. Mais bon, j’ai repéré quelques personnes disposées à m’aider à fond. Après tout c’est leur avenir aussi ! Claire la secrétaire est une perle, elle m’aide beaucoup, elle sait bosser et connaît toute l’histoire de la boite.
Il y en a une autre qui est une perle aussi mais dans un tout autre domaine, c’est Violaine, l’hôtesse, nom de dieu qu’elle est belle ! Je n’ai jamais vu une fille aussi canon, Delcourt a raison : un mélange d’Angelina Jolie et de Lara Croft ! Une vraie bombe, parfaitement consciente de l’impact de ses deux missiles près à jaillir du peu de tissus qui les recouvrent. Quand elle me regarde, j’ai l’impression d’être déshabillé de la tête au pied, ses yeux sont dotés de lasers qui analysent chaque partie de mon anatomie. Elle n’a pas froid aux yeux celle-là ! Les visiteurs de la boîte, clients, fournisseurs ou sous-traitants rampent littéralement devant elle. J’ai appris par Claire que l’ancien patron, dans des négociations difficiles avec des partenaires, n’hésitait pas à appeler Violaine au cours des réunions, juste pour lui apporter un dossier, histoire d’évaluer le trouble de ses interlocuteurs.
Seuls les immortels pourraient, à la rigueur, se prendre au sérieux.
Zoé est triste le soir. Son papa lui manque. Même si Alex rentrait tard avant, il allait toujours lui faire un petit bisou le soir dans sa chambre et lui demander comment s’était passée sa journée. Papa est à Marseille, ma chérie, il reviendra vendredi soir. Mais c’est tout le temps comme ça maintenant, Maman ? Papa sera toujours parti ? Non, ma chérie, c’est juste que là, son patron lui a demandé de l’aider sur un gros travail et Papa veut réussir, tu comprends ma chérie, c’est un peu comme quand la maîtresse vous donne beaucoup d’exercices à faire, tu cherches à bien t’appliquer pour avoir une bonne note, c’est pareil pour Papa, il cherche à faire bien pour avoir une bonne notre et aussi plus d’argent à la fin de l’année. Pourquoi ? On n’a plus d’argent Maman ? Mais non, ma chérie, mais avec encore plus d’argent, on peut vivre mieux, partir plus souvent en vacances, changer de voiture, acheter un nouvel ordinateur, tout ce qui rend la vie plus agréable. Alors je vais avoir ma console de jeux à moi ? Je n’en sais rien ma chérie, mais on verra, si tu as de bonnes notes ! Allez, maintenant dors, fais un gros dodo. J’embrasse Zoé, tout en la bordant dans son lit, j’allume la petite veilleuse, j’éteins la lumière, les étoiles dansent sur le plafond telles des petites filles jouant dans la cour d’une récréation. Tout en lui envoyant un baiser, je referme la porte de sa chambre. Je retourne dans la cuisine finir de débarrasser la vaisselle et préparer le petit déjeuner pour demain. Le bol Hello Kittie pour Zoé, la tasse I Love NY pour Charlotte, et la tasse San Francisco ramenée par ma copine Julie, les céréales respectives pour les filles, 3 cuillères à café, ma pince à thé, le chocolat en poudre, les serviettes de table, voilà, comme une automate. Les gestes clairs, répétés des dizaines de fois occupent mon corps pendant que mes pensées voyagent. Ce soir elles m’emmènent sur un chemin que je n’aime pas. J’ai peur, peur de cette vie que nous menons, peur de cette course sans fin qui nous éloigne l’un de l’autre, peur de perdre l’amour d’Alex, peur de ne plus pouvoir le suivre. La distance s’est élargit entre nous très vite, bien plus vite que je ne le pensais. Tout ce que nous avons fait ensemble ne peut se désagréger si rapidement, pas en quelques semaines ! Je ne sais plus quoi penser. Tout en fermant les volets du rez-de-chaussée, je scrute le ciel déjà noir depuis longtemps, je cherche moi aussi mes étoiles là-haut et je voudrais redevenir une petite fille que l’on prendrait dans les bras pour rassurer. Je monte à l’étage voir Charlotte, allongée sur son lit, elle téléphone. Elle me fait signe de sortir avec des grandes gestes tout en me montrant un visage outré. Je referme la porte, encore plus abattue pour me diriger vers ma chambre. Sur le lit, Pilou dort, il a pris l’habitude depuis qu’Alex est absent de venir dormir à mes pieds. Je ne l’ai pas chassé, ses yeux me regardent avec tellement de tendresse, je n’ai pas pu. Je m’assieds à côté de lui pour le caresser, sa petite langue rappeuse lèche ma main. J’ai besoin de croire qu’il me comprend et même si ce nettoyage de ma main est dû à l’odeur du chocolat et des céréales, il me transmet son affection et sa tendresse.
Quand on arrive à un "certain âge" ce ne sont pas les années passées qui pèsent le plus, ce sont celles à venir.